mercredi 7 novembre 2007

Chiffres et statistiques

Que de polémiques au sujet de la publication régulière des chiffres de la délinquance (qu'elle soit générale ou segmentée en fonction de sa nature). Voici une illustration concrète du traitement qui est fait des statistiques de notre communauté de brigades qui laisse songeur. Il va de soi que cette façon de fonctionner s'applique à de (très) nombreuses autres unités de gendarmerie ou commissariats de police.

Je tiens tout d'abord à souligner la grande importance accordée par nos chefs aux "chiffres" et "résultats". Une grande partie de leur emploi du temps est consacrée à la "gestion". Celle-ci comprend naturellement le suivi des différents résultats obtenus par nous, gendarmes de terrain. Il n'est qu'à voir le temps passé par notre patron sur son ordinateur à vérifier, comptabiliser, vérifier les données entrées par ses sous-officiers lors de la rédaction de leur compte-rendu de service! Je reviendrai en fin de billet sur cet aspect.

L'anecdote donc. Traditionnellement, nous opérons en période de rentrée scolaire, avec le concours des Douanes, des contrôles (communément appelées descentes) dans plusieurs établissements scolaires. Il s'agit en l'espèce d'établissements accueillant non seulement des mineurs, mais également de jeunes majeurs. Ils ont lieu dans les salles de cours et les chambres d'internat. Ce type d'actions est sensé revêtir un caractère à la fois préventif et répressif: préventif dans la mesure où les étudiants doivent savoir qu'ils ne sont pas à l'abri d'un contrôle inopiné; répressif car des procédures sont établies et transmises au procureur de la République. Mais pour nos chefs, il est un aspect qui supplante tous les autres: les résultats obtenus. 3 grammes de résine de cannabis découverts et c'est un (voire plusieurs) délit(s) résolu(s). Et comme on en trouve systématiquement...De nombreuses "affaires" de stups (usage, transport...) sont ainsi résolues le plus facilement du monde.
Nous trouvant en novembre, et qu'aucune descente n'a encore été effectuée, nous avons posé la question de savoir si elle serait renouvelée. Notre patron nous a répondu le plus sérieusement du monde que le teknival qui s'était déroulé sur notre circonscription cet été avait permis d'obtenir de très bons résultats et de faire exploser les statistiques en matière de stupéfiants. Il n'était donc pas nécessaire de procéder à un contrôle de ces établissements...
Je préfère éviter de décrire l'état d'esprit dans lequel je me suis trouvé lorsque j'ai entendu ces explications. D'un côté nous trouvons les gendarmes de terrain qui trouvent la justification de ce genre d'opérations dans leur vocation préventive et répressive, de l'autre nous avons les chefs qui ne jurent que par les stats, chiffres et autres résultats. Leur déroulé de carrière en dépendrait. C'est très important pour un officier.

Si encore les chiffres fournis reflétaient la réalité. Quand des unités de gendarmerie ou des commissariats de police affichent des taux de résolution de près de 60% cela me laisse très perplexe. Alors, forcément, si des "ajustements" ne sont pas réalisés par les commandants de brigade, ceux-ci se font taper sur les doigts et doivent rendre des comptes. Des bidouillages sont donc nécessaires afin de suivre le mouvement. Je suis toujours impressionné par le temps passé par notre officier devant ses diagrammes et autres colonnes.
Il me semble ainsi que les buts à atteindre diffèrent selon la fonction exercée: la résolution d'enquêtes et de problèmes concrets d'une part, la résolution d'équations statistiques de l'autre. Ce fossé semble s'élargir de plus en plus. Et lorsque les inconnues se multiplient, trouver des solutions devient de plus en plus complexe.

Novembre, les feuilles tombent

Novembre. La fin d'année se rapproche. Les jours raccourcissent. Le matin, le froid se fait plus mordant. C'est une période au cours de laquelle les suicides sont réputés plus nombreux. Je ne crois pas trop à ce caractère systématique, mais il est vrai que lorsque ce genre d'événements survient on analyse le contexte dans lequel il se produit: familial, social, professionnel,...temporel et climatique.
En attendant, profitons de la clémence du temps de cette fin d'année qui se rapproche.

dimanche 22 juillet 2007

Alcool

Ce week-end de vacances estivales a vu les contrôles routiers renforcés. Cela s'est traduit notamment par plusieurs alcoolémies (comprendre: conducteurs contrôlés au volant de leur véhicule avec un taux d'alcool dans le sang dépassant le seuil légal), en tout cas bien plus que d'habitude pour un week-end. Je crois que j'aurais toujours du mal à rester zen devant celui, ou celle, qui prend la responsabilité de conduire dans un tel état. J'ai énormément de mal à rester serein (mais j'y parviens, tout du moins je tente de le laisser paraître) lorsque je suis face à cet(te) inconscient(e) qui ne se remet pour ainsi dire pratiquement jamais en question. "J'ai tué personne", "C'est pas de chance", "Les gendarmes sont là pour faire chier"...etc, j'en passe et des meilleures.
Nous avons donc vu ce week-end une femme contrôlée après avoir eu un accident, avec 3,12 grammes d'alcool dans le sang. Cette brave dame tenait debout et s'exprimait presque correctement. Un jeune homme de 21 ans a aussi été retrouvé au cours de ce même week-end, endormi au volant de sa voiture, le moteur tournait, le frein à main était enclenché. Le problème était non seulement qu'il avait trop bu, mais aussi qu'il s'était arrêté en pleine voie, sur une bretelle de sortie d'autoroute.
J'en veux à ces irresponsables qui mettent l'intégrité des autres en danger. Ce qui est terrible, c'est qu'ils ne réalisent pas le danger qu'ils représentent, ils ne prennent pas conscience des conséquences que leur comportement peut avoir à l'égard des Autres. Je semble généraliser, mais pourtant c'est ce qui se passe réellement, presque systématiquement dans de tels cas.
Je crois que le chemin est encore long avant que ces inconscients ne se disent plus "Mince je me suis fait prendre", mais "Quel con je suis, j'aurais pu causer un accident et enlever des vies".

lundi 11 juin 2007

Pas de rétro, c'est normal.

Un père de famille se présente, mécontent de la contravention qui vient d'être remise à son fils, celui-ci roulant sur son scooter sans rétroviseur. D'après ce père de famille, le rétroviseur ne sert à rien et il est complètement anormal de mettre une amende "pour ça". Le pire là-dedans, c'est que ce monsieur, sûr de son bon droit et de son argumentation sans faille, semblait certain que nous allions reprendre le papier cartonné de forme rectangulaire, avec pourquoi pas, nos excuses.
Il est non seulement reparti la queue entre les jambes, mais aussi la contravention entre les mains.

Mineurs délinquants

Appel de la directrice du foyer d'action éducative qui signale (une fois de plus) des dégradations en cours par des pensionnaires de l'établissement. Ce bâtiment héberge des mineurs (parfois de jeunes majeurs) multi-récidivistes -terme à la mode- en rupture avec l'autorité et les règles établies. C'est la troisième fois depuis le début de cette semaine que les gendarmes sont amenés à intervenir. Le foyer n'accueille actuellement que deux adolescents pour un nombre bien supérieur d'éducateurs. Ces derniers jours ils n'ont pas arrêté de mettre à rude épreuve la patience de ceux qui les encadrent. Ils les testent, cherchent à les défier, dégradent, détruisent leur environnement, exprime leur violence par des gestes, des paroles, des actes. Les fonctionnaires du ministère de la justice, dépassés, pourtant formés, je crois, dans cette optique, font -presque- systématiquement appel à nous, souvent les veilles de week-ends, sans doute dans l'espoir que l'on garde les trublions dans nos locaux jusqu'au lundi. Il s'agit donc de la troisième fois que nous nous rendons sur place, toujours pour des faits commis par ces deux mêmes personnes. Je demande à celui que j'auditionne s'il préfère être dans nos locaux ou au foyer. Il me répond "Ben, au foyer". Préfère-t-il se trouver au foyer ou en prison. "Ben, au foyer". Je sens dans son attitude de l'agacement, l'impatience de repartir. Je devine qu'il joue en partie celui qui veut sortir au plus au vite, il joue celui qui ne se laisse pas faire. Un échange s'instaure néanmoins au cours duquel il me fait part de l'incompréhension des éducateurs à son égard, du manque de dialogue. Est-ce là aussi feint, traduisant ainsi une impossibilité à se remettre soi-même en question. Je pense qu'on peut le faire, même à 17 ans. Les problèmes viennent forcément des adultes qui ne comprennent pas les ados. Ce rôle joué est également illustré par la démarche -au sens propre- qui veut que l'on balance exagérément les épaules de droite à gauche tout en fléchissant les genoux et qui est adoptée dès que l'on se trouve susceptible d'être vu par des personnes extérieures. C'est un style c'est certain, mais que traduit-il au juste? Les deux mineurs repartiront ainsi de nos bureaux avec une troisième convocation devant le juge des enfants. Le lendemain soir ils fugueront du foyer, voleront une voiture et renverseront une dame à quelques kilomètres de là...

mardi 5 juin 2007

Premières notes

Je me présente, je ne m'appelle pas Henri. Je suis gendarme dans une brigade proche d'une grande ville, dite brigade périurbaine.
Cela me trottait dans la tête depuis un moment, puis je me suis enfin décidé, ou plutôt j'ai enfin pris pris le temps, de créer cet espace.
Mon intention est de faire partager mon travail à ceux qui me liront, ou devrais-je dire
notre travail, tant celui-ci ressemble à l'activité de milliers d'autres brigades de France. Quand je parle de "travail", je devrais plutôt dire que je souhaite faire part à tout un chacun des situations, événements, dramatiques ou drôles, tragiques ou légers, auxquels nous sommes parfois, souvent, confrontés.
Le travail du gendarme est trop souvent réduit à sa partie la plus visible, celle où on le voit au bord de la route traquer l'infraction. Mais ce n'est, et de loin, pas que ça. Et c'est justement la variété de ses missions, la diversité des personnes qu'il rencontre, la richesse des contacts qu'il noue, la multiplicité des situations auxquelles il est confronté, les nombreuses interventions qu'il doit gérer, qui font du gendarme un observateur hors pair de notre société. Le gendarme s'endurcit mais il ne reste pas moins humain. Ce n'est pas abusé que de le considérer comme "le dernier rempart". Dernier rempart de cette société qui se délite, dernier rempart de notre République qui subit bien des misères, dernier rempart d'une certaine humanité face à l'injustice.
Cette dernière peut revêtir différentes formes et relever de nombreux domaines. Celui de la gendarmerie est le pénal. Malheureusement le gendarme doit aller au-delà, parcourir d'autres terrains, afin de combler les lacunes de tierces structures, de pallier les défaillances d'autres administrations. Bien souvent, le citoyen n'ayant pas eu de réponses de la part de ces interlocuteurs se retourne vers nous, persuadé que nous serons en mesure de lui apporter, à défaut d'une solution, une aide. C'est ainsi que l'on prend toute la mesure de la mission qui nous est confiée, que l'on constate, malheureusement je dois dire, que le social prend trop souvent le pas sur le pénal et que les termes de "dernier rempart" prennent tout leur sens.