lundi 11 juin 2007

Pas de rétro, c'est normal.

Un père de famille se présente, mécontent de la contravention qui vient d'être remise à son fils, celui-ci roulant sur son scooter sans rétroviseur. D'après ce père de famille, le rétroviseur ne sert à rien et il est complètement anormal de mettre une amende "pour ça". Le pire là-dedans, c'est que ce monsieur, sûr de son bon droit et de son argumentation sans faille, semblait certain que nous allions reprendre le papier cartonné de forme rectangulaire, avec pourquoi pas, nos excuses.
Il est non seulement reparti la queue entre les jambes, mais aussi la contravention entre les mains.

Mineurs délinquants

Appel de la directrice du foyer d'action éducative qui signale (une fois de plus) des dégradations en cours par des pensionnaires de l'établissement. Ce bâtiment héberge des mineurs (parfois de jeunes majeurs) multi-récidivistes -terme à la mode- en rupture avec l'autorité et les règles établies. C'est la troisième fois depuis le début de cette semaine que les gendarmes sont amenés à intervenir. Le foyer n'accueille actuellement que deux adolescents pour un nombre bien supérieur d'éducateurs. Ces derniers jours ils n'ont pas arrêté de mettre à rude épreuve la patience de ceux qui les encadrent. Ils les testent, cherchent à les défier, dégradent, détruisent leur environnement, exprime leur violence par des gestes, des paroles, des actes. Les fonctionnaires du ministère de la justice, dépassés, pourtant formés, je crois, dans cette optique, font -presque- systématiquement appel à nous, souvent les veilles de week-ends, sans doute dans l'espoir que l'on garde les trublions dans nos locaux jusqu'au lundi. Il s'agit donc de la troisième fois que nous nous rendons sur place, toujours pour des faits commis par ces deux mêmes personnes. Je demande à celui que j'auditionne s'il préfère être dans nos locaux ou au foyer. Il me répond "Ben, au foyer". Préfère-t-il se trouver au foyer ou en prison. "Ben, au foyer". Je sens dans son attitude de l'agacement, l'impatience de repartir. Je devine qu'il joue en partie celui qui veut sortir au plus au vite, il joue celui qui ne se laisse pas faire. Un échange s'instaure néanmoins au cours duquel il me fait part de l'incompréhension des éducateurs à son égard, du manque de dialogue. Est-ce là aussi feint, traduisant ainsi une impossibilité à se remettre soi-même en question. Je pense qu'on peut le faire, même à 17 ans. Les problèmes viennent forcément des adultes qui ne comprennent pas les ados. Ce rôle joué est également illustré par la démarche -au sens propre- qui veut que l'on balance exagérément les épaules de droite à gauche tout en fléchissant les genoux et qui est adoptée dès que l'on se trouve susceptible d'être vu par des personnes extérieures. C'est un style c'est certain, mais que traduit-il au juste? Les deux mineurs repartiront ainsi de nos bureaux avec une troisième convocation devant le juge des enfants. Le lendemain soir ils fugueront du foyer, voleront une voiture et renverseront une dame à quelques kilomètres de là...

mardi 5 juin 2007

Premières notes

Je me présente, je ne m'appelle pas Henri. Je suis gendarme dans une brigade proche d'une grande ville, dite brigade périurbaine.
Cela me trottait dans la tête depuis un moment, puis je me suis enfin décidé, ou plutôt j'ai enfin pris pris le temps, de créer cet espace.
Mon intention est de faire partager mon travail à ceux qui me liront, ou devrais-je dire
notre travail, tant celui-ci ressemble à l'activité de milliers d'autres brigades de France. Quand je parle de "travail", je devrais plutôt dire que je souhaite faire part à tout un chacun des situations, événements, dramatiques ou drôles, tragiques ou légers, auxquels nous sommes parfois, souvent, confrontés.
Le travail du gendarme est trop souvent réduit à sa partie la plus visible, celle où on le voit au bord de la route traquer l'infraction. Mais ce n'est, et de loin, pas que ça. Et c'est justement la variété de ses missions, la diversité des personnes qu'il rencontre, la richesse des contacts qu'il noue, la multiplicité des situations auxquelles il est confronté, les nombreuses interventions qu'il doit gérer, qui font du gendarme un observateur hors pair de notre société. Le gendarme s'endurcit mais il ne reste pas moins humain. Ce n'est pas abusé que de le considérer comme "le dernier rempart". Dernier rempart de cette société qui se délite, dernier rempart de notre République qui subit bien des misères, dernier rempart d'une certaine humanité face à l'injustice.
Cette dernière peut revêtir différentes formes et relever de nombreux domaines. Celui de la gendarmerie est le pénal. Malheureusement le gendarme doit aller au-delà, parcourir d'autres terrains, afin de combler les lacunes de tierces structures, de pallier les défaillances d'autres administrations. Bien souvent, le citoyen n'ayant pas eu de réponses de la part de ces interlocuteurs se retourne vers nous, persuadé que nous serons en mesure de lui apporter, à défaut d'une solution, une aide. C'est ainsi que l'on prend toute la mesure de la mission qui nous est confiée, que l'on constate, malheureusement je dois dire, que le social prend trop souvent le pas sur le pénal et que les termes de "dernier rempart" prennent tout leur sens.